Correspondance d'Anne Le Fèvre Dacier

1. Lettre à Elie Bouhéreau

Lettre écrite et peut-être rédigée par Anne Le Fèvre à Elie Bouhéreau - un ancien élève de son père devenu médecin à La Rochelle -, au nom de sa mère, Marie Olivier, deux mois après la mort de Tanneguy Le Fèvre. La lettre est signée Marie Olivier, mais l’écriture - dont celle de la signature - est celle d’Anne.

a Saumur ce 8me Novembre 1672

Monsieur

Depuis mon affliction j’ai eu l’esprit dans un si grand desordre, que je n’ai esté capable de rien, de sorte que je n’ai peu vous temoignér l’obligation que je vous ai de l’honneur  de vostre souvenir, ni respondre a la demande que vous m’avés faite. Comme je sçai a quel point mon mari vous estimoit, je ne doute point aussi que sa mort ne vous ait touché et que vous ne considériés en sa personne sa famille. Vous m’en avés donné des marques, prenant part a nos interets comme vous avés fait en me donnant vos bons conseils dont je vous remercie de tout mon coeur. Au reste, Monsieur, pour ce qui est du voyage d’Heidelberg, il est vrai que S[on] A[ltesse] E[lectorale] a eu la bonté de me faire dire qu’il vouloit faire continüer les estudes de mon fils et l’entretenir dans son université ; c’est une chose qui m’a donné beaucoup de consolation dans ma douleur et que je souhaite extremement, je ne doute point aussi que vous ne preniés part a ma joye, mais pour moy et ma fille nous demeurons, une famille ne se transporte pas si facilement, et un tel voyage ne s’entreprent  pas du soir au lendemain ; ceux qui vous ont donné ces nouvelles sont mal informés de mes desseins et quoique je n’aye pas sujet de m’aimer dans un lieu ou l’on a si-peu reconnu le mérite de mon mari et les obligations qu’on lui avoit, je ne le quitterai pourtant pas sans songer auparavant a ce que je dois faire pour le bien de ma famille. Pour les lettres que vous me demandés, je croy que vous ne serés pas fasché que ma fille en face honneur  a la memoire de son pere, elle m’a dit qu’elles sont pleines de corrections  qui ne sont point dans les livres de mon mari, comme dans ses livres il y en a aussi qui ne sont point dans ces lettres, et qu’elle a dessein de mettre au jour les unes et les autres au plus tost, ne doutant point que vous ne l’approuviés et que vous ne soyés bien aise de contribüer a ce qui peut augmenter la reputation d’un homme qui vous aimoit avec tant de tendresse. C’est ce que j’attens de vostre bonté et suis

Monsieur                   vostre tres humble et tres

obeissante servante, Marie Olivier

Dublin, Marsh’s Library, Fonds Bouhéreau,  46 Z 2.2.16, lettre 11.


2. Lettres à Pierre-Daniel Huet


Lettre d’Anne Le Fèvre à Pierre-Daniel Huet, 19 mai 1680

N’ayant pu, Monsieur, avoir le bonheur de présenter mon livre avant votre départ, je n’ai presque pas pu entretenir M. le duc de Montausier de ce qui regarde la rétribution que je dois avoir. Comme je sais que vous avez de la bonté pour moi je prends la liberté de vous supplier très humblement de vouloir lui écrire un mot en ma faveur, et pour presser cette rétribution, et pour faire que je sois payée plus largement, que j’ai été par le passé. Vous m’avez fait grâce de me promettre de représenter à M. de Montausier que ce sont deux auteurs, et je suis persuadée, Monsieur, que si vous avez la bonté de le faire, je serai payée sur ce pied-là. Je vous assure que s’il en était autrement, je ne pourrais que faire, et que je n’aurais pas de quoi payer la moitié de la dépense qu’il m’a fallu faire en attendant l’impression de cet ouvrage.

C’est ce que je vous conjure de vouloir bien représenter à M. de Montausier, comme aussi qu’il me faudra encore tenir ici sur mes coffres pour faire imprimer Aurelius Victor.

J’espère que vous m’accorderez cette faveur ; mais, au nom de Dieu, Monsieur, accordez-la moi promptement, et me pardonnez l’embarras que je vous donne. Sur tout soyez bien persuadé que personne n’est avec plus de respect que moi, Monsieur, votre très humble

etc.

Anne le Fèvre


Lettre d’Anne Le Fèvre à Pierre-Daniel Huet, 6 juillet 1680

Monsieur, il y a déjà quelque tems que j’ai touché ma rétribution et que par conséquent je devrais vous avoir rendu grâce de vos bons offices. Car et quoi que cette récompense ne m’ait pas fort enrichie, cela ne m’a pas empêchée que je ne l’aie reçue avec toute la reconnaissance que je dois, et que je ne sois persuadée que j’en dois une bonne partie à vos sollicitations.

Au reste, outre les deux mille francs qui m’ont été ordonnés, j’ay encore eu dix pistoles sur les neuf cents livres que M. de Montausier a fait ordonner pour l’imprimeur, à qui je n’en ai donné que huit cents, suivant ce que vous lui aviez promis et le traité qu’il avait fait avec moi. Je crois que M. de Montausier ne sera pas fâché que j’aie eu cette petite douceur, le libraire gagnant assez. Aussi est-il  le plus content du monde.

Je quitte la maison où je suis et me rapproche de la vôtre. Je souhaite de vous y voir bien tôt et de vous y pouvoir assurer que je suis, avec bien du respect, Monsieur,votre etc.

Anne le Fèvre


Lettre d’Anne Le Fèvre à Pierre-Daniel Huet, 31 mai 1681, à Paris

Je n’avais garde, Monsieur, de faire imprimer ma préface sans savoir comment vous la trouviez et sans avoir reçu les remarques que je vous avais prié d’y faire. Je connaissais trop le besoin qu’elle avait que vous vous donnassiez cette peine, et l’avantage qu’il y a de soumettre ses ouvrages à un jugement fin et délicat comme le vôtre. Je vous rends donc  très humbles grâces de vos bons avis et de la manière obligeante dont vous me les donnez, et je puis vous protester, Monsieur, que les marques publiques que j’aidonnées de la parfaite estime que je fais de votre mérite ne sont qu’un crayon de ce que je pense. Vous voulez bien que je vous dise que l’Aurelius Victor est presqu’achevé d’imprimer et que je vous fasse souvenir que vous m’avez promis d’écrire en ma faveur à M. le duc de Montausier. Il est temps s’il vous plait de me faire cette grâce. Je vous prie donc de vouloir bien lui mander que c’est vous même qui avez fait le marché de Dictys et de Victor, et que M. Rouland a eu neuf cents livres pour le premier. C’est sur cela que j’ai entrepris de faire les avances de l’impression. La règle d’un louis d’or par feuille n’a été faite que longtemps depuis le marché de ces deux livres, que M. de Montausier a approuvé. Si l’on me payait selon cette règle, je ferais une perte considérable qui m’incommoderait extrêmement, et il y aurait bien de l’injustice de me traiter moins favorablement qu’un imprimeur. M. de Montausier est trop équitable, et vous avez trop de bonté pour moi ; je suis donc très persuadée que vous lui représenterez toutes ces choses, et je me repose entièrement sur votre sollicitude. Je vous prie aussi de parler de l’indice que j’ai fait à Victor, et d’avoir la bonté de m’en faire payer, et de représenter à  M. de Montausier que j’ai besoin de retirer l’argent que j’ai avancé. Je vous demande mille pardons, Monsieur, de la liberté que je prends. Je suis, avec beaucoup de respect, votre etc.

Anne le Fèvre

P. S. Je voudrais bien savoir si vous avez jamais vu quelques bons manuscrits d’Anacréon.


Lettre d’Anne Le Fèvre à Pierre-Daniel Huet, 6 juillet 1681

Il y a plus d’un mois, Monsieur, que Victor est achevé d’imprimer, mais cela ne me sert de rien parce que M. Destanchau n’a pas encore fait sceller le privilège que vous prîtes la peine de lui donner il y a plus de quatre mois, et mon imprimeur dit qu’il y aurait du péril pour lui s’il me donnait des exemplaires pour en faire mes présents avant de l’avoir. Ce retardement est cause que je ne me suis pas encore donné l’honneur de vous remercier de la lettre que vous m’avez fait la grâce d’écrire en ma faveur à M. le Duc de Montausier. J’attendais toujours de vous pouvoir mander le succès de votre recommandation ; mais enfin je n’ai pu attendre davantage à m’acquitter de ce devoir, et je ne doute pas que tout n’aille le mieux du monde, puisque vous avez témoigné à M. de Montausier que vous preniez quelque part à ce qui me regarde.  Je vous rends donc mille grâces, Monsieur, de toutes vos bontés et je vous supplie d’être bien persuadé que personne ne vous honore plus que moi et que je suis, avec beaucoup de respect et de reconnaissance, votre

Anne le Fèvre


Lettre d’Anne Le Fèvre à Pierre-Daniel Huet, 27 juillet 1681

J’ai enfin eu mon privilège et jeudi dernier je portai Victor à la cour ; mais, Monsieur, je m’aperçus bien que vous n’y étiez pas, et je n’ai jamais mieux connu ce que vaut la protection d’un ami tel que vous. M. le Duc de Montausier n’entendit point mes raisons sur l’impression de cet auteur, et si vous n’avez la bonté de lui écrire encore en ma faveur, je suis à la veille de faire une perte qui m’incommodera extrêmement. Je vous supplie donc, Monsieur, de lui vouloir représenter de nouveau l’injustice qu’il y aurait à me traiter plus mal qu’un imprimeur et de le faire souvenir que c’est un marché que vous avez fait et qu’il a approuvé, puisqu’il a fait payer M. Rouland sur ce pied la. Mais j’ai pris déjà la liberté  de vous écrire toutes ces choses ; il n’est donc pas nécessaire de vous en dire davantage aujourd’hui. Je vous prie au nom de Dieu, de me faire la grâce d’écrire à M. de Montausier au plutôt, et lettre vue, si cela se peut, afin que votre lettre arrive avant qu’il ait parlé à M. Colbert. M. Dettanchau m’a promis de faire tout son possible pour empêcher qu’il ne lui parle avant qu’il ait reçu votre lettre. Faites-moi donc cette grâce, et soyez bien persuadé, Monsieur, que vous n’obligerez jamais personne  qui soit, avec plus de reconnaissance et de respect, votre... etc.

Anne le Fèvre

Monsieur Dacier m’a priée de vous faire ses compliments ; je ne sais si vous avez reçu un paquet où il y avait une de ses lettres.


Lettre d’Anne Le Fèvre à Pierre-Daniel Huet, 14 août 1681

Je suis bien persuadée, Monsieur, que vous aves de la bonté pour moi et que mes intérêts ne vous sont pas indifférents, c’est ce qui m’a fait prendre la liberté de vous prier de vouloir bien solliciter pour moi M. le duc de Montausier. Vous l’aves fait, Monsieur, et quoique je croie bien que je ne gagnerai pas ma cause, je vous ai pourtant toute l’obligation imaginable, et vous rends très humbles grâces de votre sollicitation et de la peine que vous aves bien voulu prendre pour moi. Cette petite disgrâce me rendra plus soigneuse à l’avenir ; elle me fait voir qu’il ne faut pas s’appuyer si fort sur la justice des choses, ni sur les apparences ; et qu’il n’y a point d’affaires à quoi l’on ne doive apporter toutes les précautions. Quoique cette perte m’incommode extrêmement, je ne puis pourtant me repentir d’avoir entrepris cette impression. De tous les livres que l’on a faits pour Monseigneur le Dauphin, il n’y en a guère de si bien imprimés que Victor, et j’ai bien de l’impatience que vous l’ayez vu. Je crois que vous en serez satisfait, et je voudrais bien que vous pussiez l’être autant de ce que j’y ai fait. J’en serais, je vous assure, extrêmement glorieuse, car il n’y a point d’approbation que je ne souhaite si passionnément que la vôtre, et je vous prie, Monsieur, d’être bien persuadé que personne n’est avec plus de véritable estime et de respect que moi, votre etc.

Anne le Fèvre


Lettre d’Anne Le Fèvre à Pierre-Daniel Huet, 25 septembre 1681, à Paris

Il n’était point nécessaire, Monsieur, de me mander la réponse de M. le duc de Montausier ; il y a longtemps que je vous suis très sensiblement obligée de votre sollicitation, et je vous prie de croire que, lorsque je vous en ai rendu grâces, ç’a été du meilleur de mon cœur, et après avoir été fort persuadée  de toutes les peines que vous avez bien voulu prendre pour moi. Continuez-moi vos bontés, je vous prie, et me faites la grâce de ne douter jamais de ma reconnaissance.

M. Dacier m’a fait voir la belle ode que vous lui avez envoyée, je vous remercie de la part que vous m’avez donnée à ce présent. Si Aulnay est aussi beau que les vers qu’il vous inspire, je ne m’étonne pas que vous y alliez passer les deux tiers de l’année et que vous abandonniez Paris pour lui.

En vérité, je n’ai jamais rien vu de si charmant que cette ode, et la description que fait Horace de son Tivoli n’a garde d’être aussi belle que celle que vous faites d’Aulnay. Quelque plaisir néanmoins que je prenne à lire les belles choses que vous faites dans cet agréable désert, je ne laisse pas d’être fâchée que vous les y fassiez, car cela nous fait voir que vous y plaisez fort, et que nous devons appréhender que dorénavant nous ne vous verrons plus  ici que lorsque la mauvaise saison vous obligera d’y revenir. Souvenez-vous pourtant que les Muses se plaisent extrêmement dans votre belle bibliothèque. Revenez donc et ne les en privez pas davantage, mais surtout, Monsieur, croyez bien que je suis avec beaucoup de respect votre très humble et très obéissante servante

Anne le Fèvre

BnF, ms fr, 15188, microfilm 20 336

(copies des autographes avec une orthographe modernisée par le copiste, du XIXe siècle, semble-t-il).


3. Lettre d’Anne Le Fèvre à Christine de Suède

Copie de la lettre de Madame Dacier, alors mademoiselle le Fèvre, à la Reine de Suède, du 15 Mars 1678

Serenissimae Reginae CHRISTINAE.

Nemo est, Regina Serenissima, qui maximum CHRISTINAE nomen non audiat, adeoque nemo qui illud enixe demiretur : sed praeter omnes, egregia quaedam invasit Majestatis tuae veneratio, ita ut vix mihi verba suppetant quibus etiam Tibi satis ex diuturno animi mei voto possim testari : vero dico, Regina Serenissima, cum Te talem ac tantam intueor.

ὡς βρόγκον ἐμοί γάρ αὐδᾶς

οὐδέν ᾿έθηκεν.

Mihi pudor in aures dictat esse illud plenum opus aleae, quodque eruditissimi potentissimique scriptores reformident ad te scribere, quam omnes artes ambiunt.

Τέχνη γαρ ἀμφιλαφής οὔτις τόσον.

Verum vicit tandem honesta necessitas, Regina Serenissima, nam qui possem ego crimen effugere si sola taceam, dum omnia Tibi εὐφημουντων vocibus resonant ? non quod vocem meam eam existimem qua laudes tuae queant decantari, sed ut olim triumphantium pompam non modo Equites & Senatorum amplissimus ordo, verum etiam Milites & plebs tenuissima suis concentibus celebrabant, ita inter acclamantium Tibi turbas, ego quoque, per te modo fas sit, Regina serenissima, quoque modo exaudiar, ut currus sine pompa tui. Neque vero illud sperandum esse arbitror fore ut praeconem illum invenias qui vituti tuae par sit, multa semper erunt quae ejus aciem fugiant ; sic enim Te super omne mortale genus evehit ardens virtus, ut vultus nostros deseras, nullique fas sit Te

« Posse sequi summoque volans dum tendis Olympo,

« Sublimem aspicere.

Nam vel illud tantum quis Tibi rite celebrandum suscipiat, Regina Serenissima, videlicet cum Tu, quo te totam sapientiae traderes, regale solium ita reliquisti, ut non tam descendisse quam ex eo te altius sustulisse supraque Sceptra & coronas te composuisse visa sis : haec & alia multa quantumvis acutissimus scriptor arte sua assequi nunquam possit, nisi illi Majestas tua latentem sublimis eloquentiae semitam monstret ; quare nobis decentius multo est dum cursum tuum quam longissime observamus, virtutes tuas religiosissime meditari, tibique tantum & voce & manibus plaudere. Utinam, Regina Serenissima, meum in Te cultum & reverentiam probes, opusculaque illa dua[1] quae Majestati tuae mittere ausa  sum  Bibliothecae tuae jure donare non dedigneris

MAJESTATIS TUAE

devotissima

ANNA Tanaquilli FABRI filia.

Parisiis 15 Martii 1678.

Johann-Wilhelm von Archenholtz, Mémoires concernant Christine de Suède,

Amsterdam, Pierre Mortier, 1751-1760,  Appendices, p. 154.


Réponse de Christine de Suède

Mademoiselle le Fèvre

Vos expressions pleines de zèle & d’affection pour moi, aussi bien que vos livres ont été aussi agréablement reçus que vous le pouvez souhaiter, aïant voulu vous en assurer moi-même en vous remerciant des agréables heures  que votre Florus m’a fait passer.  Il vous est bien glorieux d’avoir contribué en traduisant un auteur de cette importance à l’instruction de Monsieur le Dauphin & d’être de part avec les savants hommes qui travaillent avec tant de soin & de succès à ce grand ouvrage. Je vous avouë, que si j’étois capable d’envie, ce ne seroit ni la fortune présente de la France qui fait tant de jaloux, qui m’en donneroit, ni je n’envierois même à ce jeune prince la succession d’un des plus beaux & des plus grands roïaumes  de l’Europe qui l’attend : mais j’avouë sincérement que je suis capable de porter une espèce de noble envie au bonheur & à la gloire de son admirable éducation ; Qu’il est heureux & qu’il doit avoir des obligations inestimables au Roi son père ? Mais vous, de qui on m’assure que vous êtes une belle & agréable fille, n’avez-vous pas honte d’être si savante ? En vérité c’est trop, & par quel charme secrèt avez-vous sçû accorder les Muses avec les Graces ? Si vous pouviez attirer à cette alliance la Fortune, ce seroit un accroissemement presque sans éxemple, auquel on ne sauroit rien souhaiter de plus, si ce n’est la connoissance de la vérité qui ne peut être longtems cachée à une fille, qui peut s’entretenir avec les saints auteurs dans leurs langues naturelles. J’espére, & je le souhaite avec l’aide de Dieu, qu’un jour ils vous persuaderont si vous les consultez sans préoccupation, qu’environ 1500. années avant que les Luthers & les Calvins eussent renoncé à la vérité, tout ce qu’il y avoit de gens raisonnables & grands dans notre monde étoient aussi catholiques que nous le sommes tous aujourd’hui ici à Rome, & comme l’est la plus saine & la meilleure partie de votre France. A quoi peut servir toute votre science si vous ignorez ce point si important ? Donnez-vous la peine d’y faire une réfléxion sérieuse & priez Dieu qu’il ouvre un jour vos yeux & votre coeur à la vérité.

A Rome ce 22. Mai 1678.

CHRISTINE ALEXANDRA.

Johann-Wilhelm von Archenholtz, Mémoires concernant Christine de Suède,

Amsterdam, Pierre Mortier, 1751-1760,  t. II. p. 188-189.


4. Lettre de Madame Dacier à Mademoiselle de Scudéry

Castres ce  17e juillet 1685

C’est avoir bien de la bonté, Mademoiselle, de se souvenir de gens qui le meritent si peu et qui font si mal leur devoir ; il est pourtant vrai que s’il ne faloit, pour meriter l’honneur que vous venés de nous faire, que vous estimer parfaitement et connoistre le prix de cette grace personne n’en seroit plus digne que nous ; Il y a long temps que vous avés toute nostre estime, et le beau present que vous nous avés fait n’a peu qu’augmenter nostre admiration. En vérité, Mademoiselle, quoy que l’on doive tout attendre de vous, je n’ai pas laissé d’estre ébloüie de toutes les beautés qui éclatent en foule dans vos Conversations[1]. < On peut dire que tout en est bon, mais j’y ay trouvé surtout de certains endroits qui m’ont enchantée et qui m’ont retenue plus que les autres par le plaisir extraordinaire qu’ils m’ont donné. Mon exemplaire est plein des marques que j’ai faites sur tous ces endroits. >[2]

vostre tres hümble et tres obeïssante servante,

Anne Le Févre Dacier./.

Lettre de Madame Dacier à Mademoiselle de Scudéry,

reproduite par isographie

(BnF, Archives biographiques, Isographie 1828-30, cote FOL CN1).


5. Lettre de Madame Dacier à un destinataire inconnu

Le lendemain de l’abjuration de son frère Tanneguy, Madame Dacier sollicite pour lui une pension. Le destinataire de cette lettre est, vraisemblablement, Pierre-Daniel Huet.

Monseigneur

5. octobre 1713

J’espere qu’en prenant part a ma joye, qui doit estre une joye publique, vous daignerés m’accorder vostre protection dans une affaire qui, je m’assure, vous paroistra importante pour la Religion. J’ay un frere qui a esté longtemps ministre en Suisse. De là il passa en Angleterre ou il fut ministre protestant, dans la suite ayant reconnu l’injustice de ce parti, et Dieu luy ayant fait la grace de commencer a sentir la force et la necessité de la hierarchie, il se fit prestre Anglican. Il a, Monseigneur, deux avantages considerables, le premier, qu’il est sorti de France plusieurs années avant la revocation de l’Edit de Nantes, et le second, que dans son egarement mesme, il n’a jamais perdu de vue le respect, la veneration et la fidelité qu’il doit au Roy, et qu’il a donné des marques de son zele jusqu'à sattirer des disgraces en s’opposant aux Wigs. Enfin Dieu lui a fait la grace de reconnoistre ses erreurs, et il voulait les abjurer en Angleterre, mais on a trouvé plus a propos qu’il vinst faire son abjuration a Paris. Cella est fait, Monseigneur, et bien fait comme la sainteté de la Religion le demande. Mais après avoir obtenu cette grace de Dieu, il a grand besoin du secours des hommes, et je ne rougis pas de vous avouer sa pauvreté parce qu’elle luy est glorieuse. J’espère, Monseigneur, que vous aurés la bonté de representer tout cella au Roy, et que Sa Majesté, qui est sur la terre la seule ressource de ceux qui embrassent la vérité, accordera quelque grace a un ministre converti et qui n’est pas sans merite, et dont l’exemple ne peut manquer d’avoir des suites heureuses, soit en confirmant les nouveaux convertis, soit en attirant dans le Royaume beaucoup de refugiés. Car j’oze vous dire que mon frère est un homme de beaucoup de reputation dans les sciences, fort profond dans les langues, grand Theologien et excellent mathematicien. Je me flatte donc, Monseigneur, que vous vous souviendrés en cette occasion de la bienveillance dont vous m’honoriés autrefois, et que vous voudrés bien m’en donner encore aujourd’huy des marques. C’est desja un bon augure pour nous que les interets d’un ministre converti et d’un tres savant homme soient entre vos mains. Vostre zele pour la Religion et la protection que vous donnés aux lettres, qui reçoivent un grand lustre de vos soins, me fait tout esperer. Je suis avec beaucoup de respect,

Monseigneur,

vostre tres humble et

tres obeïssante servante

A. Le Févre Dacier.

A Paris le 5.

d’octobre 1713.

BnF,  ms fr 12713, f° 177, microfilm 8238.


6. Lettre de Madame Dacier au chevalier de Limojon[1]

A Paris le 11 de Mars 1719

Vous devés estre fort surpris, Monsieur, de recevoir si tard la reponse que je dois a l’obligeante lettre que vous m’avés fait l’honeur de m’escrire, mais je me flatte que vous m’aurés fait la justice de croire que je n’ay pu m’acquitter plus tost d’un devoir si juste et si agreable. Il y a six mois, Monsieur, que Mr. Dacier est malade, et il y en a trois qu’il souffre des douleurs horribles, sans pouvoir trouver de repos ni nuit ni jour, il a esté obligé de passer les nuits dans son fauteuil et ce n’est que depuis deux jours qu’il a regagné son lit. Pendant tout ce temps la je n’ay connu ni encre ni plumes et j’en reprends aujourdhuy l’usage, Monsieur, pour vous remercier de l’honneur de vostre souvenir. Vous avés retouché fort heureusement vostre ancienne piece pour l’Académie[2], elle est fort bien, et quoyqu’elle n’ait pas esté couronnée, elle doit vous encourager a travailler pour le prix dont Monsr le Premier President  vous a envoyé le programme. Le poeme d’Henry 4. de M. Arouet[3] ne doit pas non plus vous rebutter d’achever vostre Cloveide[4]. Nous n’avons pas vu ce poeme, mais si l’on en peut juger par la tragédie que cet auteur vient de donner[5], ce ne scauroit estre un bon ouvrage car la tragedie est trés mauvaise en tout sens quoyqu’elle ayt eu les applaudissemens du public. Pour M. Racine[6], c’est une autre paire de manches, son poeme sur la Grace a charmé tout le monde, et avec raison, sa versification est noble et heureusement soutenue on n’a rien fait de si parfait depuis longtemps, ce jeune homme a tout le talent de Mr son père et il l’a sanctifié, il travaille a un poeme sur la Religion, dont il nous a dit l’exorde qui est trés beau. Voyla Monsieur, tout ce que je puis vous dire sur les nouvelles que vous souhaitiés de scavoir. M. Dacier me charge de vous faire ses complimens. Nous ne scaurions vous exprimer le plaisir que vous nous avés fait en nous promettant que vous viendrés bien tost icy avec Made de St Didier. Nous serions ravis d’avoir l’honneur de vous voir, soyés bien persuadés, l’un et l’autre de nostre parfaite estime. Je suis trés veritablement, Monsieur, vostre trés humble et trés obeissante servante.

A. LE FEVRE DACIER.

Nous vous prions de faire nos complimens a M. des Marez

Marie-Jeanne DURRY, Autographes de Mariemont Première partie : Avant 1800 Tome I, de Jean Rolin à Madame de Pompadour,

Paris, Librairie Nizet, 1955, lettre CX, p. 362 (Mariemont ms 336/1).


7. Correspondance du ministre David Martin, réfugié à Utrecht, et de Madame Dacier (1712-1719)[1]

David Martin à Madame Dacier.

Lettre a Madame Dacier du 7e janvier 1712.

Je ne sai, Madame, si parmi tant de grandes et savantes occupations qui vous prenent presque tout le temps de vôtre vie, il vous est resté quelque souvenir  d’une personne qui n’a eu l’honneur de vous être connue que bien peu. C’est de moi, Mme, que je parle, et qui eus l’honneur de vous voir à Castres, et ensuite à La Caune, il y a un peu plus de 26 ans[2] ; et en faut-il tant pour effacer de l’esprit une idée qui ne peut avoir fait que l’effleurer ? Permetez que je l’y retrace par cette lettre, dont le but est de vous y témoigner l’admiration où je suis de l’Homere françois qui vient de sortir de vôtre savante plume[3]. Je le lis actuellement, et je me trouve si saisi des beautez que vous y avez répendues, que je n’ai pû attendre d’en avoir achevé la lecture à vous en témoigner mon admiration. Vous faites parler dans vôtre traduction ce grand genie de l’Antiquité comme il auroit dû parler en nôtre temps, et vous lui  arrachez, pour ainsi dire, ses pensées les plus cachées, dont celles qu’il a exprimées lui-même reçoivent un relief  qui les fait paroître dans un nouveau jour. Là où il peut lui être arrivé de sommeiller,[4] comme on le lui a reproché, vous avez trouvé l’art de faire voir qu’il ne dormoit pas, et qu’il étoit vif où l’on le croyoit languissant. Jamais original n’a eu plus d’obligation à sa copie ; on l’y voit avec tous ses traits les plus vénérables d’antiquité, mais avec un air si nouveau que la rudesse des vieux temps y disparoît et ne choque plus. C’est l’art des arts  que cela, et ce n’étoit qu’à vous, Mme, que cette gloire étoit reservée. Le public ne sauroit vous en faire trop d’honneur, et je vois avec plaisir qu’il sent les beautez de cet ouvrage parl’empressement où il est d’en solliciter une nouvelle édition. Je ne sai si vous savez qu’il l’a deja obtenue, et qu’elle va paroître dans peu de jours en ce païs[5]. Plusieurs libraires d’Amsterdam y ont fait travailler avec une grande exactitude, et l’un d’eux m’a assûré qu’ils en ont fait graver les tailles douces par une des meilleures mains qui soient dans ces provinces : le papier en est plus beau qu’il ne l’est dans leurs éditions ordinaires, on a mis vos remarques au bas des pages, les caracteres en sont tres-nets, et le tout fera trois volumes en grand in 12°. Voilà, Mme, qui va mettre vôtre excellent Homere entre les mains de tout le monde dans toute l’Europe. Les éditions de Paris sont ordinairement trop cheres, et rarement il en sort assez d’exemplaires hors du royaume pour pouvoir remplir l’avidité du public, quand ce sont des ouvrages, comme est celui-ci, propres à la produire.

Vôtre préface[6] est une piece qu’on ne peut ni trop lire, ni trop étudier. Quelle netteté d’idées ! quel profond savoir ! quelle justesse d’expressions ! Rien n’y est detrop, rien n’y manque : tout s’y soûtient et tout y instruit. Vos remarques, partout si /[2]/ savantes, font souvent entrevoir une érudition au delà de celle que vous y montrez ; et vous laissez ainsi, au lecteur, en menageant votre modestie, le plaisir de pouvoir faire lui-même quelque pas un peu plus loin que vous ne le menez ; et il croit marcher sans guide, quand ce n’est encore qu’à la faveur de vôtre direction qu’il avance un peu au delà. Vos applications de plusieurs endroits d’Homere à divers passages de l’Ecriture Sainte sont tres justes, et tres agréables. Celle que vous faites de Thetis prenant doucement de sa main gauche la barbe de Jupiter, je l’avois faite dans ma Bible, qui fut imprimée il y a cinq ou six ans[7] et annoncée en suite dans le Journal de Paris[8]. Celle du πρωτα pour προτερον, je la fis il y a plus de quinze ans sur St Luc ch. 2. 2[9]. dans le Nouveau Testament in 4° que je fis alors imprimer, et qui est mis dans ma Bible avec diverses augmentations. Plusieurs de nos critiques avoient expliqué en ce sens le texte de l’évangéliste, mais ils avoient la plus part manqué de preuves pour appuyer la signification du  πρωτη de St Luc pour le comparatif προτερα ; j’y ai apporté un passage des 70.[10] qui est formel. Vous faites fort justement voir le ridicule de la critique de Zoïle sur les armes flamboyantes de Diomede, mais c’est une grace que vous lui faites de rejetter ces sortes d’expressions un peu hardies sur les libertés et les droits de la poësie, nos Livres Saints en sont tous remplis ; et j’ai expliqué en ce sens les dards enflammés du malin, dans l’Epistre aux Ephesiens, ch. 6e. ; j’ai ramassé un grand nombre de textes de l’Ancien Testament. Ce que vous dites de certaines huiles qui coulent de la terre, je l’ai vû dans nôtre province de Languedoc auprés d’une petite ville nommée Gabian : elle sort goutte à goutte d’une espece de roche[11]. On la ramasse avec soin, et on la porte à vendre dans les villes de la province, comme une huile médicinale, bonne à plusieurs choses. Ce que vous dites qu’Helene employait des soyes et des laines de couleurs differentes m’a un peu surpris, car jusqu’à present j’ai toûjours regardé l’usage de la soye comme n’étant pas extrémement ancien, et je n’en ai vû aucune trace dans les Livres de l’Ancien Testament. Il se trouve, à la vérité, dans un passage d’Ezéchiel, ch. 16.10[12]., mais ce n’est que dans la version[13], comme je l’ai fait voir dans mes notes sur ce passage. Il seroit, en effet, fort étonnant que la soye n’eûst pas été employée à la broderie des voiles ni du tabernacle, ni du temple de Salomon, si l’usage en eût été connu dans ces premiers temps. Mais vous devez avoir, sans doute, Mme, quelque autorité, qui m’est inconnue, pour avoir mis des soyes à la main d’Helene. Vos grandes lectures vous ont rendu si presentes les manières et les coûtumes de l’antiquité la plus reculée, qu’on ne peut que douter et hésiter, quand on voit les choses autrement que vous : Ô patre docto filia doctior ![14]

/[3]/ Continuez, Mme, d’enrichir le public de vos excellens ouvrages, et de faire parler avec politesse en nôtre langue les Anciens qui ont parlé ou la grecque ou la latine dans la plus grande pureté de l’une et de l’autre. Quoi que nous ne soyons plus François nous aimons toûjours passionnement nôtre langue. Les étrangers, qui en admirent la politesse, ne la croyent propre qu’aux complimens et qu’à des ouvrages d’esprit ou de galanterie ; mais ceux qui auront lû les vôtres, et qui seront capables de quelque goût, reviendront bien-tôt de ce préjugé, puisque vous avez si bien sû allier la force du stile à la délicatesse des expressions et au tour des phrases. Vous n’avez en cela personne, Mme, qui vous ressemble mieux  que M. Dacier : ses ouvrages sont ici lûs et estimez de tous les véritables savans, et plusieurs de ceux qui ne le sont pas, s’en croyent bien proches  quand ils les ont lûs ; ils veulent du moins qu’on sache qu’ils les ont lûs. J’ai en mon particulier pour son rare mérite toute l’estime qu’on lui doit, et pour sa personne beaucoup de respect, avec une passion tres sincère de lui rendre mes services, si jamais ils pouvoient lui être aussi utiles, que je prévois qu’ils ne peuvent l’être. Je me flatte de lui être un peu connu, quand ce ne seroit que par l’amitié dont M. son pere[15] m’honoroit. Il me sera glorieux  d’avoir part à celle du fils comme à une succession de famille ; mais qu’il me seroit doux, Mme, si je voyois sous d’autres égards, le coeur du fils ramené à celui du pere[16], et l’entendre parler sur un autre ton qu’il n’a fait en une occasion où le silence lui auroit été plus glorieux que l’élégance de ses expressions ! La douleur que vous faites paroître sur la mort de Mlle vôtre chere fille en finissant vôtre admirable préface sur Homere donne une grande idée du merite de la fille et de la tendresse de la mere : l’esprit et le coeur y parlent tous deux à la fois, et un éloge enveloppé, comme est celui-ci, des sages reserves de la modestie est un monument veritablement aere perennius, comme a dit Horace[17], qui portera vos deux noms inseparablement confondus l’un avec l’autre dans les siecles à venir[18].

Permettez-moi, Madame, qu’avant que de finir cette lettre je vous demande s’il est vrai, comme on nous l’a dit, que Messieurs de l’Academie travaillent à une augmentation de leur excellent Dictionnaire, et si on en a deja commencé l’impression[19]. C’est un trésor pour nôtre langue, et un trésor qu’on ne sauroit trop estimer ; mais comme il est impossible qu’il n’échappe pas plusieurs mots et plusieurs phrases à l’attention la plus appliquée des personnes qui travaillent à un dictionnaire, sur tout d’une langue vivante, il seroit à souhaiter que ces Messieurs fussent avertis de plusieurs endroits de l’Europe des omissions qui peuvent y avoir été remarquées. Il m’en a passé en diverses occasions quelques-unes sous les /[4]/ yeux, que j’ai negligé de marquer sur le papier ; j’y en ai marqué quelques autres, mais en assez petit nombre ; et il se pourroit bien faire qu’il s’en présenteroit (sic) dans la suite quelques autres à mon esprit, et que je mettrois sur le papier, si cela peut faire plaisir à ces Messieurs, et particulierement à M. Dacier.

Tout se prépare en cette ville à recevoir Messieurs les plenipotentiaires pour le congrés[20], et on n’y parle que de louages de maisons. Dieu veuille donner à l’Europe une paix solide et durable, du moins tout autrement que ne l’ont été les précédentes : nous en avons tous besoin, et nous la devons tous souhaiter. Je fais bien des voeux pour vôtre prospérité dans ce renouvellement d’année, et je suis avec respect,

Madame ...


Madame Dacier à David Martin

A Paris le 10. de fevrier 1712

Un rhumatisme trés douloureux m’a empeschée, Monsieur, de repondre plus tost a l’obligeante lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’escrire. Je profite avec plaisir des premiers momens qu’il me donne pour m’acquiter de ce devoir et pour vous assurer que l’ancieneté de l’epoque que vous me marqués n’empesche pas que je me souvienne de l’honneur que j’ai eu de vous voir a Castres. Je suis ravie qu’Homere ait donné lieu a renouveler cette connoissance que j’estime infiniment et dont vostre lettre me fait encore mieux connoistre le prix. Je serois bien glorieuse si le travail que j’ai fait sur ce poète pouvoit meriter vostre approbation, mais, Monsieur, malgré l’amour  propre qui ne nous abandonne jamais, je distingue fort bien les louanges que vostre politesse vous fait donner a cet ouvrage

de celles qu’il peut meriter. Je puis seulement vous /[2]/ assurer que toutes les vues que vous me flatés d’avoir executées, je les ai eues veritablement, je me suis proposé tout ce que vous loués, mais je sens bien  que j’en suis encore trés éloignée. Homere est un esprit si sublime et ses idées sont si grandes et si nobles que c’est une folie de croire qu’une traduction puisse en approcher. Il est d’ailleurs si profondement instruit de touttes choses que souvent, dans un seul mot, il renferme des mysteres qu’il n’est pas facile de developer. Si j’avois eu vostre ouvrage sur la Bible, je suis persuadée que j’aurois esclairci beaucoup d’endroits mieux que je n’ai fait, et en mesme temps j’aurois eu le plaisir de vous rendre la justice qui vous est deue.

Vostre remarque sur le πρώτη  de St Luc m’auroit merveilleusement servi a appuyer la mienne sur πρῶτα  pour πρότερον. Vostre explication des dards enflammés du demon est admirable et appuye parfaitement l’expression d’Homere sur les armes flamboyantes de Diomede. Tout ce qui peut servir a faire voir la conformité du stile et des idées de ce poete avec le stile et les idées de nos escrivains sacrés me paroist précieux, et c’est a quoy je me suis /[3]/ particulierement appliquée. Pour ce qui est des autorités que vous me demandés sur les soies que j’ai mises dans les mains d’Helene, je vous avoue que je n’en ai de bien formelle que le passage d’Hezechiel 27. 26 et byssum et sericum[21]. Je scavois bien que Grotius[22] avoit expliqué le mot de l’original par coralia, mais j’ai mieux aimé le prendre dans sa propre signification, et j’ai cru que par le commerce de proche en proche les Troyens pouvoient avoir eu l’usage de la soie longtemps avant les peuples de l’Europe et avant les Egyptiens. Il paroist par Homere mesme que leur commerce s’estendoit bien loin, et quand on pense à la magnificence de ces peuples, il est bien difficile de croire que l’usage de la soie ne leur fust pas connu.

Je voudrois pouvoir croire une partie du bien que vous dites de ma preface. J’ai taché de n’y rien oublier de tout ce qui estoit necessaire pour expliquer mon dessein. Ce qui me touche le plus, c’est que vous n’ayés pas desapprouvé la liberté que j’ai prise de parler de nostre malheur. Ce seroit une sorte de consolation pour moy si, comme vous avés la bonté de me le dire, je pouvois me flater /[4]/ d’avoir redonné a ma chere fille une vie plus durable que celle qu’elle a perdue.

M. Dacier vous est trés obligé, Monsieur, de l’honneur de vostre souvenir. Il vous estime et vous honnore parfaitement, mais il est bien faché de vous voir dans des prejugés qui vous persuadent que, quand en quelque occasion il a parlé d’une maniere qui ne vous a pas esté agreable, il n’a cherché que l’elegance des expressions. S’il estoit connu de vous, vous ne luy feriés pas cette injustice et vous verriés qu’il a cherché a exprimer des verités dont il a le coeur et l’esprit egalement remplis et dont la meditation fait toute sa consolation et tout le bonheur de sa vie. Il n’y a de veritable bien que dans la verité et si l’on a assez de lumiere pour la trouver et la penser, il faut avoir le courage de la publier et de la suivre. La diversité d’opinions qui nous separe n’empeschera jamais que nous n’ayons pour vostre mérite tous les sentiments qui luy sont dûs.

Vous estes au milieu de tout ce qui se passe de plus grand et de plus important dans le monde. Voyla les negociations ouvertes. Le Dieu de paix y veuille repandre sa benediction et les mener a une /[5]/ heureuse fin. Vous en saurés la conclusion cinq ou six jours avant nous et ce n’est pas un petit avantage.

M. Dacier a lu a l’Academie Françoise l’article de votre lettre ou vous parlés du Dictionnaire. Il vous assure qu’elle profitera avec grand plaisir de tous les avis que vous lui donnerés et qu’elle vous prie de vouloir bien marquer tous les mots et toutes les frases qui lui auront echappé.

Je serois bien aise de voir la nouvelle edition qu’on a faite de mon Homere. Les libraires, pour me marquer quelque reconnoissance de ma copie, ne devroient ils pas m’en envoyer une couple d’exemplaires ? Je vous avoue que ce sont les images[23] qui excitent ma curiosité. Si, dans tout ce que vous avés fait ou dans tout ce que vous preparés, il y avait quelque chose qui pust enrichir mon travail sur l’Odyssée, vous m’obligeriés infiniment de m’en faire part. Je suis, Monsieur, avec une tres parfaite estime, vostre tres humble et tres obeissante servante.

A. le Févre Dacier./.


David Martin à Madame Dacier, 14 mars 1712

Si la lecture du premier tome de vôtre Iliade, Madame, m’avoit fait admirer le bonheur d’Homere d’avoir rencontré en vous un genie qui faisoit tant d’honneur au sien, la suite de vôtre ouvrage n’a pu que me confirmer dans mes premiers sentimens sur l’excellence de la traduction et sur la beauté de vos remarques. Il est rare qu’une traduction de longue haleine, et d’une poësie dont les images, les mœurs, les manieres sont aussi éloignées de celles de nôtre siècle que le sont celles d’Homere, se soûtienne également par tout. L’esprit le plus fort se lasse par le travail, et il baisse peu à peu sous le poids des difficultez qu’il n’avait pas crû d’abord rencontrer dans son chemin ; le vôtre  Madame, loin de rien perdre par la longueur du travail, s’est animé et s’est soûtenu jusqu’à la fin, avec toute la vigueur qu’il avoit eue au commencement, et Homère, s’il vivoit encore et qu’il entendît nôtre Langue, se trouveroit avec toute la sublimité de ses idées à la fin de son Iliade, comme il s’y seroit vû dès l’abord. Vous lui ferez encore bien de l’honneur, Madame, si vous lui prêtez et vôtre esprit et vôtre plume pour le faire parler en nôtre langue des travaux d’Ulysse. Son Odyssée pourroit bien alors ne se ressentir plus de ce que Longin a appelé la vieillesse d’Homere[24], et habillée à la françoise par une main comme la vôtre, prendre un certain air de jeunesse qui lui donneroit des agrêmens dignes d’une soeur de la belle et majestueuse Iliade. Le Telemaque moderne se retrouveroit avec l’ancien, et le public verroit avec plaisir l’original dont une habile main lui a donné depuis peu une copie qui a été regardée de bonne œil dans toute l’Europe[25]. Vous me faites l’honneur, Mme, de vouloir que je vous fasse part des vûes que je puis avoir sur quelques endroits de l’Odyssée ; comme vous ne m’en marquez aucun en particulier, vous me laissez par là la liberté de me répandre ou de m’arrêter sur tels endroits qu’il me plaira. Vôtre demande est pour moi une espece d’ordre, et la liberté que vous me laissez de ne faire qu’effleurer ici les matieres qui me sont tombées sous les yeux est une grace que vous me faites et dont je vais profiter.

Ce qu’Homere dit au livre I, v. 32 &c., que les hommes rejettent sur Dieu la cause de tous les maux qui leur arrivent, au lieu de ne s’en prendre qu’à eux-mêmes et à leurs folies[26], est une réflexion plus digne d’un chrétien que d’un payen : l’Ecriture Sainte est pleine d’exemples semblables. Ce sentiment, qui est si bien exprimé ici par le poëte, procede de deux causes, dont l’une est tres-mauvaise, et l’autre tres-bonne, mais celle-ci ne s’y montre, pour ainsi dire, que par le côté, et y est cachée par la premiere. Cette premiere donc  c’est l’amour-propre ; et la seconde, c’est le sentiment interieur et profond que tous les hommes portent naturellement dans leur ame, que les maux, comme les biens, sont également dispensez par la main de Dieu et par la direction de sa providence : Il n’y a point de mal dans la ville que l’Eternel ne fasse. Amos. ch. 3. 6, et Dieu lui-même dit dans Esaïe, ch. 46, 7. Je forme la lumiere et je crée les tenebres ; je fais paix  ou la prosperité, et je crée l’adversité.

Dans le vers 63, Homère appelle Jupiter [un blanc[27]] nubium congregatorem : j’ai fait sur cela une remarque dans le livre des Actes, ch. 14. 17. Les écrivains sacrez sont pleins d’expressions magnifiques sur ce sujet : Job. 26. 8. et 38. 25. 26. et Jéremie regarde comme le caractere propre de Dieu, privativement aux dieux des Gentils, de faire pluvoir : Jérémie 15. 22.  -   -  v. 89[28]. Dans ce vers et dans les suivans, le poëte depeint la lance de Minerve comme garnie d’airain au bout : les traducteurs ont mis le fer au lieu de l’airain, et Eustathe même s’y est mépris, sous ombre que depuis long-temps l’usage du fer l’a tellement emporté sur celui de l’airain dans la fabrique des armes, particulierement de celles qu’on nomme offensives, que l’airain n’y est plus employé. J’en ai fait la remarque dans ma Bible, pour expliquer ces paroles de David dans le Pseaume 18 : J’ai brisé de mes mains un arc d’airain. Les premieres armes des Grecs, des Latins et de plusieurs autres peuples ont été d’airain, dont on faisoit non seulement des casques, des cuirasses, et des boucliers, mais aussi des arcs, des halebardes et des épées, comme on le voit, pour les Grecs, dans Homere et dans Hesiode ; et pour les Latins, dans Lucrece, Virgile, Tite  Live et autres ; parce qu’anciennement le fer étoit peu connu, et fort rare parmi ces peuples. Mais comme l’airain ou le cuivre dont nous nous servons ne sont nullement propres à faire des arcs pour la guerre, parce qu’ils sont ou trop cassans ou trop doux et qu’aprés avoir plié, ils ne retournent pas avec asses d’effort à leur premier état, qui est ce qui fait la bonté d’un arc, les anciens avoient une maniere de preparer l’airain et de le tremper qui le rendoit propre à cet usage, mais laquelle on a peu a peu laissée perdre depuis qu’on a eu abondamment du fair (sic) et de l’acier, pour faire des arcs, selon la remarque de Proclus et de Tzetzes[29], deux anciens écrivains grecs, sur Hesiode. Comme il m’a semblé voir dans vôtre lettre, Mme, que ma Bible ne vous est pas connue, j’ai crû ne pouvoir pas me passer de copier ici cette remarque ; je n’en userai pas de même dans la suite, pour n’en remplir pas ma lettre.  -   -  Dans le v. 100[30]. nous trouvons miscere vinum et aquam dans les verres, pour dire donner a boire. Athenée en a fait la remarque dans son premier livre[31] ; Horace, Martial, &c. ont employé la même expression, et c’est à quoi j’ai rapporté Proverbes 9. 2. : j’y ai fait une assez longue remarque.

Sur le v. 111[32], ou il est dit que Telemaque  invitant Minerve d’entrer chez lui le[33] prit  par la main droite, Homere, exact jusqu’aux moindres choses, ne s’est pas contenté de dire d’une maniere simple, et vage (sic) que Telemaque prit cet étranger par la main en le priant d’entrer, mais il spécifie particulierement la main droite, parce que c’étoit chez les Anciens une marque particuliere d’amitié et de cordialité, vû même que c’étoit par là qu’ils faisoient les fiançailles des mariages, comme on le voit dans Euripide, dans le 4. de l’Eneide et ailleurs.

/[2]/ Dans le vers suivant, Homere appelle les paroles de Telemaque invitant Minerve, des paroles aîlées. Ce poëte a le secret d’ennoblir toutes ces idées : de donner des aîles aux paroles pour marquer l’empressement généreux avec lequel Telemaque invitoit cet étranger à entrer et la cordialité avec laquelle il lui parloit, car c’est à quoi principalement va cette expression si fine, si poëtique de paroles aîlées, comme il paroît dans ce même livre par le discours de Minerve à Telemaque, et d’Euriclée aussi à Telemaque, au sujet desquels se trouve encore la même expression. Mais pour dire ici deux mots sur ce qui peut avoir donné lieu à une métaphore si hardie, c’est, à mon avis, que quand ce n’est pas de bon coeur qu’on invite quelqu’un, mais par simple bienseance, les paroles ne coulent pas facilement de la bouche, il y a je ne sai quel contrepoids que le coeur y met qui les fait aller pesamment ; au lieu que quand c’est avec effusion de coeur qu’on parle, les paroles volent de la bouche, comme si elles avoient des aîles. Je laisse là le premier livre sur lequel je pourrois faire bien d’autres remarques, si la courte étendue d’une lettre le pouvoit souffrir.  -   -  Vers la fin du 2. livre, Homere parlant de l’embarquement  de Telemaque et ayant dit que le vent enfloit les voiles de son navire, il ajoute que les flots de pourpre bruyaient devant le vaisseau. Quelle épithete, de flots de pourpre, pour de flots blancs d’écume ! Rien ne seroit plus étranger à nôtre langue qu’une telle expression. Mais vous savez, Mme, qu’elle a été familiere aux poëtes, et le purpures olores d’Horace n’aura pas manqué de vous venir à l’esprit, aussi bien que le nix purpurea, que j’ai trouvée dans un autre poëte latin. Je me suis servi de ces autorites pour expliquer un passage fort difficile du livre des Cantiques[34], dans lequel le St Esprit faisant la description de la beaute de l’épouse dit que ses cheveux sont de couleur de pourpre. Les interpretes se sont répandus là-dessus en allegories, faute de savoir quel sens donner à la lettre de ce texte. Voici la remarque que j’ai faite dans ma Bible : Ceci ne doit pas  s’entendre proprement de la couleur même des cheveux, car jamais le (sic) cheveux rouges, ou d’un rouge vif et ardent, n’ont passé pour de beaux cheveux ; mais l’écarlate (ou la pourpre) étant une couleur fort éclatante, ce mot est mis ici pour dire des cheveux nets et luisans, au même sens qu’il est dit Lamentations  de Jeremie 4. 7. que les Nazariens étoient rouges comme des perles, pour dire luisants comme des perles, et comme un ancien poëte latin a appelé les cygnes pourprez ; et un autre a donné le même nom à la neige, pour marquer l’éclat des cygnes et de la neige. Permetez-moi, Mme, de revenir encore ici au premier livre. J’ai remarqué en deux endroits que Telemaque disoit que toutes choses sont posées sur les genoux des dieux, pour dire, que les dieux prenoient en leur protection toutes celles dont il parle. Cette idée est admirablement belle, et j’en ai fait la remarque sur Genèse 30. 3. et 50. 24., mais particulierement sur le pseaume 22. 11. J’ai honte de me copier ici si souvent. Il me seroit aisé de vous marquer plusieurs autres endroits  de l’Odyssée qui ont de la conformité avec nos Livres Saints, mais je passerois trop les bornes d’une lettre, et celle-ci est déja bien longue. Je reviens à la vôtre.

Vous m’y apprenez, Mme, que M. Dacier m’a fait l’honneur de lire à l’Academie Françoise l’article de ma lettre où je vous parlois des omissions qui peuvent se trouver dans le Dictionnere et qu’elle a bien voulu agréer mes intentions sur ce sujet. Je remercie tres humblement M. Dacier de l’honneur qu’il m’a fait de me produire dans cet illustre corps, et je reçois avec respect l’honneur que l’Academie me fait de trouver bon que je fasse passer jusqu’à elle mes petites remarques. En cherchant ainsi des taches dans le soleil, je m’éclairerai par l’approche de sa lumiere, et plus je m’appliquerai a rechercher s’il ne manque point quelque chose à la perfection du Dictionnaire, plus j’y apprendrai à éviter des manquemens avec lesquels on s’est comme naturalizé. Je ne tarderai pas, Mme, s’il plait à Dieu, de travailler à ces remarques, mais comme je prevois bien qu’elles prendront plusieurs feuilles de papier, et qu’elles feroient un paquet trop grand pour être mis à la poste, il seroit peut être plus commode de se servir de quelqu’un des Messieurs qui sont à la suite des plenipotentiaires de France pour faire passer vos lettres jusqu’à moi, et les miennes jusques à vous. C’est sur quoi, Mme, vous ferez avec M. Dacier les considerations que vous jugerez nécessaires, et je n’attendrai plus que vôtre réponce à cette lettre pour vous envoyer ce que j’aurai mis sur le papier. J’assure ici, avec vôtre permition, M. Dacier de mes tres humbles services et vous, Mme, du profond respect avec lequel je suis vôtre tres humble et tres obeissant serviteur.

M

A Utrecht, ce 14e mars 1712.


Madame Dacier à David Martin

A Paris ce 16e de janvier 1713

Il vaut mieux tard que jamais, Monsieur, je vous prie de ne desaprouver pas ce proverbe et de me pardonner de repondre si tard à la lettre que j’ay receue de vous depuis si longtemps. Une infirmite presque continuelle et, ensuite, un accablement d’affaires m’ont empeschée de m’aquiter de ce devoir et de vous remercier de la continuation de vos politesses sur ma traduction d’Homere et des belles reflexions que vous y avés jointes, qui marquent non seulement une grande erudition, mais un sentiment fin et delicat de toutes les beautés de ce grand poete, ce que j’estime encore d’avantage que l’erudition ; celle cy s’acquiert, et le sentiment, c’est la nature qui le donne. Je me feray tousjours honneur de profiter de vos vues. Cependant je prendray la liberté de vous  /[2]/ dire icy ma pensée sur vostre premiere remarque, qui est sur le passage du v. 32 du 1. livre, que les hommes rejettent sur les dieux les causes de tous leurs maux, dont ils ne doivent accuser qu’eux mesmes. Vous dites trés bien, Monsieur, que c’est une pensée plus digne d’un chrestien que d’un payen. Mais, en mesme temps, vous ajoutés que ce sentiment peut venir aussy d’une trés mauvaise cause, qui est l’amour propre. Je vous avoue que c’est ce que je ne puis voir. Comment l’amour propre peut-elle nous porter a n’accuser que nostre folie de tous nos malheurs ? On ne trouve point de gens qui s’aiment de cette maniere. Pour moy, je ne trouve là qu’une bonne cause, qui est la connoissance de l’ignorance de l’homme et des perfections de Dieu. Ce que vous dites des armes d’airain est trés vray. J’en avois desja fait une grande remarque, ou j’ay monstré que si l’usage de l’airain estoit si commun, ce n’estoit pas qu’on n’eust du fer en /[3]/ abondance, ce que je prouve par le texte mesme d’Homere, mais c’est apparemment qu’on n’avoit pas trouvé la trempe du fer comme celle de l’airain, ou que l’esclat de l’airain l’avoit emporté.

Je vous rends graces de la remarque que vous faites sur le meslange du vin et de l’eau.

Votre miscuit vinum des Proverbes m’avoit echapé ; je ne l’oublierai pas.

Vostre remarque sur les flots de pourpre est trés vraye et si je n’ay pas suivi cette idée dans le πόρφυρε du 21. Livre de l’Iliade, voicy ma raison, que j’abandonnerai si vous la condamnés. Quand le poete dit dans l’Odyssée que les flots de pourpre faisoient un grand bruit autour du vaisseau, on voit bien qu’il appelle flots de pourpre ces flots blanchis par l’ecume que cause cette violente agitation, mais dans l’Iliade, c’est toutte autre chose : les vents contraires ne blanchissent pas les vagues, et j’ay tousjours ouy dire que quand les vents commencent, la mer est comme noire, /[4]/ et c’est ce que le scholiaste paroist avoir senti quand il a dit κατὰ βάθος ἐμερίμνα, car cette noirceur vient de la profondeur des flots, et il semble que cette image est plus belle.

Pour les cheveux de pourpre, il est certain que dans Homere, dans Anacreon et même dans l’Escriture, ce sont des cheveux d’un noir ardent, puisqu’Homere et Anacreon les comparent a l’hyacinthe. Vostre passage de Jeremie rouge comme des perles m’a fait plaisir et je l’oublieray pas.

Vostre remarque sur le passage touttes ces choses seront posées sur les genoux des Dieux est tres curieuse et tres savante. J’avois seulement marqué que cette idée venoit de ce qu’ils faisoient ordinairement les statues de leurs dieux assises, et qu’on mettoit sur leurs genoux ce qu’on leur presentoit. Il y en a un passage formel dans l’Iliade.

Tout mon ouvrage sur l’Odyssée est achevé, il n’y a plus qu’a le pοlir, afin qu’il ne vous paroisse pas indigne /[5]/ de son ainé et qu’il puisse obtenir de vous un jugement aussy honorable.

M. Dacier me charge, Monsieur, de vous assurer de ses trés humbles services et de l’estime particuliere qu’il a pour vous. Il me charge aussi de vous dire que le Dictionnaire de l’Academie est achevé et qu’on va bien tost en commencer l’impression, que l’Academie profitera avec plaisir de vos remarques, si vous voulés bien les envoyer, comme vous m’avés fait l’honneur de me l’escrire, supposé que vous pussiés trouver quelque commodité pour les faire passer jusqu’a nous. Il y auroit pour cela une voye trés sure, qui seroit de les pouvoir remettre a M. l’abbé de Polignac[35]. Je ne doute point qu’il n’eust la bonté d’en charger son courrier et de nous les faire tenir. On nous assure mesme qu’il doit venir faire un tour icy, le mois prochain. Ce Dictionnaire est considerablement augmenté : ainsy il y a de l’apparence qu’ils auront suppleé un grand /[6]/ nombre d’omissions que vous aurés sans doute relevées. Mais il peut y en avoir encore d’importantes qui leur auront echapé, et vos remarques ne peuvent que leur estre trés utiles. Au reste, Monsieur, sur vostre passage rouge comme des perles, il m’est venu un scrupule : c’est que Jeremie n’a pu parler des perles, qui n’estoient pas connues de son temps. Apparemment, il parloit du corail ou de quelqu’autre chose que nous ne connoissons pas. Adieu, Monsieur, personne ne peut vous estimer et vous honorer plus que vostre trés humble et tres obeissante servante

A le Fevre Dacier.


Madame Dacier à David Martin

Au verso : A Monsieur / Monsieur Martin sur / le nouveau Canal, / A Utrecht.

A Paris, le 13e de fevrier 1713

On m’apporta hier, Monsieur, la lettre que vous m’avés fait l’honneur de m’escrire du 2e de ce mois et dont le courrier de M. le Marechal d’Euxelles[36] s’estoit chargé. J’attends avec impatience celle qui me vient par le gentilhomme saxon et l’essay de vos remarques sur le Dictionnaire. Les articles sur lesquels roulent ces remarques me paroissent trés importants, surtout les quatre derniers, car, pour le premier, quand bien les exemples seroient trop multipliés sur certains mots, on dira que ce qui abonde ne nuit point, au lieu que des épithetes belles et necessaires oubliées, des constructions des verbes avec les noms, omises, des definitions ou peu regulières ou defectueuses, et l’estendue des usages  /[2]/ poussée plus loin, tout cella est tres considerable et peut faire un grand enrichissement. Quoy qu’on soit en train de commencer l’impression du Dictionnaire, ces remarques viendroient encore a temps, si vous trouviés promptementune voye pour nous les faire tenir. Je suis sure que M. le Cardinal  de Polignac s’en seroit chargé, car, estant un des membres de l’Academie, il auroit été ravi de lui apporter ce present. S’il est desja parti, comme on le croit, vous pourriés trouver assés d’autres commodités chez M. le Marechal ou chez M. Menager[37]. Il n’est pas possible que la paix qui va estre conclue ne vous donne   un peu plus de liberté et que le commerce ne soit plus ouvert. Et un homme de vostre merite ne peut qu’estre bien receu par tout, et sur tout dans la maison de M. le Marechal, qui est homme de beaucoup d’esprit et qui aime fort les gens de lettres, si vous pouviés seulement parler ou faire parler a M. l’abbé du Baux, il se chargeroit de votre paquet.

Je verray, Monsieur, vos reflexions sur l’Odyssée avec un trés grand plaisir. Quoy que vostre politesse /[3]/ veuille me faire esperer un heureux succés de cet ouvrage, je ne saurois m’empescher de trembler quand je donne quelque chose au public.

A propos de public, on nous a dit qu’on imprime à Utrecht une nouvelle Republique des lettres[38], et que, dans un des volumes qui paroist, on a imprimé une reponse trés impertinente et tres insensée que M. Masson[39] a faite a ce que M. Dacier luy avoit repondu. On dit mesme que le journaliste promet au public qu’il aura bien du plaisir de voir cette reponse. A moins que l’ironie ne soit bien marquée et bien sensible, le journaliste commet[40] un peu sa reputation. Je vous prie de me mander ce que c’est que ce journal et qui en est l’auteur. Si M. Dacier m’en croit, il s’en tiendra a sa premiere reponse, qui fait assés connoistre M. Masson pour ce qu’il est.

Vous n’avés, Monsieur, qu’a m’adresser vos lettres au Louvre. M. Dacier vous fait mille et mille complimens, et je ne puis vous dire toutte l’estime que nous avons tous deux pour vostre merite et a quel point nous vous honorons. Je suis, Monsieur, vostre tres humble et trés obéïssante servante.

A. le Févre Dacier.

Vous me feriés plaisir de me mander les nouvelles qui peuvent être écrites.


Madame Dacier à David Martin, 27 janvier 1715

Au verso :

A Monsieur / Monsieur Martin sur le / nouveau Canal, A Utrecht./.

Des infirmités, la paresse et la rigueur du temps, Monsieur, m’ont empeschée d’avoir plus tost l’honneur de vous temoigner la joye que nous avons eue, M. Dacier et moy, de recevoir de vos nouvelles, et je vous prie de croire que vos lettres nous seront tousjours tres precieuses et que c’est nous traitter trop mal que d’attendre qu’il se presente des occasions pour nous honnorer d’un commerce qui nous fait tant de plaisir. Je vous rends neantmoins tres humbles graces de l’honneur que vous nous avés procuré en donnant a Messieurs Visconti la lettre qu’il vous a plu de m’escrire et qu’ils ont bien voulu nous rendre eux mesmes. Ce sont des gens qui ont tout l’esprit /[2]/  et toute la politesse qu’on peut desirer et qu’il est assés rare de trouver dans les personnes de leur age, mesme en ce pays cy. Aussy n’ont ils pas eu besoin de nous pour tout ce qu’ils ont eu envie de voir, les portes se sont ouvertes d’elles mesmes devant eux. Voyla ce que fait le merite, et un beau nom ne gaste rien. Presentement, Monsieur, il faut vous dire de nos nouvelles, puisque vous me faites l’honneur de m’en demander. L’impression de l’Odyssée n’est pas encore commencée, elle va commencer incessament et les Vies de Plutarque[41] suivront immediatement aprés. Cependant j’ay fait imprimer un petit ouvrage que je souhaite de vous envoyer et qu’il puisse meriter vostre approbation, c’est la deffence d’Homere contre les attentats de M. de la Motte .

Vous avés apparemment vu son Iliade et le discours qu’il a mis a la teste de ce beau poeme[42]. Je refute les principes qu’il y establit et fait voir qu’ils sont tres pernicieux pour la poesie et /[3]/  pour les belles lettres. Faites moy scavoir, je vous prie, comment je puis vous envoyer cet ouvrage. Nous avons bien de l’impatience que celluy que vous allés donner sur le pseaume CX soit imprimé[43]. M. Masson n’est pas heureux dans ses decouvertes : un homme, comme vous, Monsieur, est un aussy redoutable adversaire sur la belle litterature que sur la theologie[44]. Depuis que les journaux sont introduits dans les Lettres, on voit fourmiller les mechants ouvrages et le mauvais goust augmenter chaque jour : il est aysé d’en voir la raison. Adieu, Monsieur, personne ne vous honnore davantage que M. Dacier et moy. Je suis vostre trés humble et trés obeissante servante.

A le Févre Dacier./.

A Paris le 27e de janvier 1715./.


Madame Dacier à David Martin, 27 octobre 1719.

Vous nous faites tousjours des presens, Monsieur, et des presens qui nous instruisent et qui nous font un vray plaisir, car, avec la solidité et l’erudition qu’on y trouve par tout, ils sont escrits avec toutte la vivacité et la sagesse d’un homme rempli de sa matiere et qui ne marche pas a tatons. Nous venons de recevoir tout presentement votre Dissertation sur le celebre passage de l’Epitre de St Jean[45] que le jeune gentilhomme anglois qui s’en estoit chargé nous a rendu avec touttes les graces et toutte la politesse du monde. Il estoit accompagné de deux autres Anglois, qui nous ont paru gens de merite aussi. Nous n’avons pu encore pu lire cette Dissertation qu’en courant, mais nous avons lu et relu vostre Traitté de la religion revellée[46] ; nous l’avons lu, M. Dacier et moy ensemble avec le goust et l’admiration /[2]/ que nous avons pour tout ce qui vient de vous. Je vous le repeteray encore, rien n’est mieux escrit ni plus vivement ni plus solidement. Dans ces deux petits volumes vous aves ramassé plus de regles judicieuses pour l’intelligence de l’Escriture qu’il n’y en dans tous les critiques. Nous avons été charmés surtout de la manière dont vous battez les sociniens[47]. Nous ne sommes pas estonnés que M. Emelyn[48] ait voulu tacher d’y repondre, mais nous le serions beaucoup s’il y avoit répondu, non pas avec quelque sorte de solidité, car cella est impossible, mais avec quelque sorte de couleur. C’est ce que nous verrons par la reponse que vous luy aves faite et que nous allons lire incessament. Je suis trés fachée, Monsieur, que vostre ouvrage De la Religion revelée ne me soit pas venu avant que la nouvelle edition qu’on vient de faire de mon Iliade ayt esté achevée ; j’aurois profité de vostre belle remarque sur les heures portieres du ciel et j’en aurois parlé avec l’éloge qu’elle /[3]/ merite. Nous avons esté trés affligés d’apprendre que vous avés esté malade, nous ne l’aurions pas deviné a vostre style et si vostre corps s’en ressent aussy peu, on peut dire que vous estes dans une santé parfaite. Personne ne le souhaite plus que nous. M. Bettoni et M. Dogloly nous firent hier l’honneur de nous venir dire adieu. Ce sont deux hommes bien estimables, nous ne scaurions assés vous remercier de nous en avoir procuré la connoissance. Ils sont venu (sic) chercher chez nous ce que vous leur avés bien voulu persuader qui y estoit. C’est a vos perils et fortunes, Monsieur, que vous faites de ces avances. M. Dacier n’aura pas l’honneur de vous escrire aujourdhuy : il est accablé de feuilles de Plutarque, ce sera au premier jour. Il vous fait mille et mille complimens. Nous envoyerons vostre paquet a M. Claude[49]. Adieu, Monsieur, conservés vous bien et soyés bien persuadé que M. Dacier et moy vous honorons trés parfaitement et que je suis vostre trés humble et trés obeissante servante.

A. Le Fevre Dacier./.

A Paris le 27e d’octobre 1719.


NOTES

Lettre à Christine de Suède

[1] Le Callimaque et le Florus.


Lettre à Mademoiselle de Scudéry

[1] Conversations nouvelles sur divers sujets, Paris, 1684, 2 vol. in-12.

[2] Le passage que nous mettons entre <  > avait été remplacé dans l’isographie par une ligne de points. Nous l’avons reconstitué grâce à la transcription (avec l’orthographe moderne) qu’en ont faite Rathéry et Boutron dans Mlle de Scudéry. Sa vie et sa correspondance [...], Genève, Slatkine reprints, 1971, p. 472.


Lettre au chevalier de Limojon

[1] Ignace-François Limojon de Saint-Didier (1699-1739), seigneur de Venasque et de Saint-Didier, près d’Avignon, poète et admirateur de Madame Dacier. Partisan des Anciens, il défend leur cause dans Le Voyage du Parnasse (1716).

[2] Le chevalier de Limojon avait concouru pour le prix de poésie de l’Académie française.

[3] Voltaire publiera sa Henriade en 1723.

[4] Le poème de Limojon paraîtra en 1725.

[5] L’Œdipe, joué pour la première fois le 18 novembre 1718, remporta un grand succès. Voltaire, qui s’était demandé s’il fallait  écrire une tragédie avec chœurs ou non, avait pris conseil auprès  d’André Dacier  : « Je travaillai comme si j’avais été à Athènes. Je consultai M. Dacier qui était du pays. Il me conseilla de mettre un chœur dans toutes les scènes à la manière des Grecs : c’était me conseiller de me promener dans Paris avec la robe de Platon », Voltaire, Correspondance, 7 janvier 1730.

[6] Louis Racine, fils de Jean.


Lettres à David Martin

[1] Bibliothèque de l’Université de Leyde, ms. BPL 293-B. Aux deux lettres de David Martin et aux cinq de Madame Dacier, présentées ici, s’en ajoutent huit d’André Dacier au même David Martin (1713-1721).

[2] David Martin exerça le ministère à Lacaune, de 1670 à la Révocation. Les époux Dacier séjournèrent à Castres entre fin 1683 - début 1684 et janvier 1686.

[3] L’Iliade d’Homere, traduite en François, avec des Remarques, par Madame Dacier, Paris, Rigaud, 1711, 3 vol. in-12.

[4] Indignor quandoque bonus dormitat Homerus (Horace, Art poétique, v. 359).

[5] Une édition pirate de la traduction de l’Iliade paraît à Amsterdam en 1712 : L’Iliade d’Homere, traduite en François avec des Remarques, par Madame Dacier. Nouvelle édition revûe et corrigée, où l’on a mis les Remarques  sous le Texte,  Amsterdam, Aux dépens de la Compagnie, 3 vol. in-12.

[6] Dans cette préface de 70 pages, Madame Dacier se propose de « faire bien entrer les hommes dans le véritable goût du poëme épique, & de leur faire connoître son essence ».

[7] La Sainte Bible qui contient le Vieux et le Nouveau Testament, expliquez par des notes de théologie & de critique sur la version ordinaire des églises réformées, revûe sur les originaux , & retouchée dans le langage [...], Amsterdam, Henry Desbordes, Pierre Mortier, Pierre Brunel, 1707, 2 vol. in-folio. Elle sera réimprimée en 1710 et 1714. La traduction française de la Bible, publiée par Olivétan en 1535 à Neuchâtel, puis révisée plusieurs fois, est connue sous le nom de Bible de Genève. C’est à la demande du synode des Eglises wallonnes que David Martin en fit une révision complète.

[8] Le Journal des savants.

[9] Aὕτη ἀπογραφὴ πρώτη ἐγένετο ἡγεμονεύοντος τῆς Συρίας Κυρηνίου : Ce recensement, le premier, eut lieu pendant que Quirinus était gouverneur de Syrie (Bible de Jérusalem, 1961). L’autre traduction : Ce recensement fut antérieur à celui qui eut lieu, Quirinus étant gouverneur de Syrie est, « grammaticalement, peu soutenable ».

[10] sous-entendu : des Septante.

[11] Une roche bitumineuse. La « fontaine d’huile de pétrole » de Gabian, à 20 km de Béziers, fut exploitée dès l’époque romaine. En 1924, Gabian deviendra le premier puits de pétrole de France.

[12] Je te donnai des vêtements brodés, des chaussures de cuir fin, un bandeau de lin et un manteau de soie.

[13] La traduction des Septante. Mais la Vulgate est moins précise : indui te subtilibus.

[14] O fille plus savante que ton savant père !

[15] Jean Dacier, avocat à la Chambre de l’Edit, à Castres.

[16] Allusion à l’abjuration d’André Dacier (et de son épouse) à Castres, le 20 septembre 1685, et à un écrit (lettre) ou un discours inspiré par le prosélytisme du Nouveau Converti. Jean Dacier semble, au contraire, avoir fait partie des huguenots « opiniâtres », restés secrètement fidèles à leur religion.

[17] Exegi monumentum aere perennius (Horace, Odes III, 30, v. 1).

[18] Henriette Suzanne Dacier est morte à dix-huit ans, le 24 juin 1710. Madame Dacier, qui venait de terminer sa traduction de l’Iliade, lui rendit un émouvant hommage à la dernière page de sa préface.

[19] La première édition du Dictionnaire de l’Académie vit enfin le jour en 1694, soixante ans après la fondation de l’Académie Française. La seconde paraîtra en 1718, sous le titre de Nouveau Dictionnaire de l’Academie Françoise. Mais c’est la troisième (1740), dirigée par l’abbé d’Olivet, qui est la plus importante.

[20] Les diplomates européens se réunissent en congrès à Utrecht le 29 janvier 1712. Les traités  qui mirent fin à la guerre de la succession d’Espagne seront signés en 1713 à Utrecht et en 1714 à Radstadt.

[21] La référence exacte est  27, 16 (Madame Dacier cite de mémoire, d’où cette petite erreur) : Gemmam, et purpuram, et scutulata, et byssum, et sericum, et chodchod proposuerunt in mercatu tuo (Vulgate). Il te donnait des escarboucles, de la pourpre, des broderies, du byssus, du corail et des rubis contre tes marchandises (Bible de Jérusalem).

[22] Le jurisconsulte hollandais Grotius (1583-1645), auteur du célèbre De jure belli ac pacis, a également laissé des ouvrages de théologie, d’histoire, de littérature et de nombreux commentaires.

[23] Les gravures en taille-douce.

[24] Madame Dacier  a réfuté, dans sa préface de l’Odyssée, le jugement de Longin, pour qui « la meilleure partie de l’Odyssée se passe en narrations, qui est le génie de la vieillesse » (Traité du sublime, chap. VII).

[25] Les Aventures de Télémaque.

[26] Madame Dacier traduira comme suit : « Quelle insolence ! les mortels osent accuser les Dieux ! ils nous reprochent que nous sommes les auteurs des maux qui leur arrivent, & ce sont eux-mêmes qui par leur folie se précipitent dans des malheurs qui ne leur étoient pas destinés ».

[27] Sur le brouillon de cette lettre on trouve ici le mot grec νεφεληγερέτα, « assembleur de nuages ».

[28] Erreur : vers 99 et suivants.

[29] Comme Eustathe (XIIe s.), Proclus (412-485) et Tzetzès (XIIe s.) ont commenté Homère.

[30] v. 110, dans les éditions modernes (Teubner, etc.).

[31] Le premier livre du Banquet des sophistes.

[32] v. 121. Madame Dacier traduira : « S’étant donc approché, il lui présente la main, prend sa pique pour la soulager, & lui parle en ces termes : Etranger, soyez le bienvenu. ». Elle n’a donc pas tenu compte des remarques de David Martin (« cette expression si fine, si poétique »), car elle ne traduit pas, à quelques exceptions près, les épithètes homériques, qui  lui paraissent trop hardies pour  qu’elle cherche à les transposer avec exactitude.

[33] Minerve prend l’apparence d’un homme, Mentor.

[34] Le Cantique des Cantiques.

[35] Melchior de Polignac (1661-1742), brillant diplomate, académicien en 1704, cardinal en 1713 et poète néo-latin, est le deuxième plénipotentiaire de France au congrès d’Utrecht.

[36] Nicolas du Blé (1652-1730), marquis d’Uxelles et maréchal de France (1703), fut nommé, en 1710, ministre plénipotentiaire avec le cardinal de Polignac aux conférences de Gertruydemberg, qui n’eurent pas de succès, puis au congrès d’Utrecht.

[37] Nicolas Mesnager  ou le Baillif, dit « comte de Saint-Jean », avocat, conseiller du roi et diplomate spécialiste des questions économiques, fut nommé troisième plénipotentiaire de France au congrès d’Utrecht.

[38] C’est l’Histoire critique de la Republique des Lettres, tant ancienne que moderne, publiée à Utrecht, chez G. a Poolsum, par Samuel Masson, de 1712 à 1718, en quinze volumes.

[39] Le ministre Jean Masson, frère de Samuel, avait publié à Leyde, en 1708, une Vie d’Horace. André Dacier, spécialiste d’Horace, dont il avait donné une édition et une traduction avec des remarques  en dix volumes (1681-1689), répliqua  immédiatement par les Nouveaux éclaircissements sur les œuvres d’Horace. Avec la réponse à la critique de M. Masson, ministre réfugié en Angleterre. Par M. Dacier, garde des livres du Cabinet du roi, Paris, Pierre Cot, 1708, in-12. Ce fut le début d’une guerre de libelles dont Samuel Masson se fera complaisamment l’écho dans son Histoire critique de la République des Lettres.

[40] expose, met en danger.

[41] André Dacier signe seul cette édition complète des Vies des hommes illustres de Plutarque, alors que les six premières Vies, publiées par Claude Barbin en 1694, étaient un ouvrage à quatre mains.

[42] Se fondant sur la traduction de Madame Dacier, Antoine Houdar de la Motte, qui ne savait pas le grec, avait publié, en 1714, une nouvelle Iliade en vers, réduite à douze chants. Dans une ode liminaire intitulée L’Ombre d’Homère, il prétendait, pour justifier son entreprise, exaucer la prière d’Homère, qui lui serait apparu en songe.

[43] Il paraîtra en 1715.

[44] André Dacier, traducteur d’Horace, d’Aristote, etc., et le théologien David Martin ont donc un ennemi commun, Jean Masson.

[45] Deux Dissertations critiques, la premiere, sur le verset 7. du ch. 5. de la I. Epist. de S. Jean :  Il y en a trois au Ciel, &c. Dans laquelle on prouve l’authenticité de ce Texte. La seconde sur le passage de Joseph (sic) touchant Jésus-Christ, où l’on fait voir que ce passage n’est point supposé. Par M. Martin. A Utrecht, chez Guillaume van de Water, 1717. La première Dissertation établit l’authenticité d’un texte sur lequel se fonde le  dogme de la Trinité.

[46] Traité de la religion révélée, où l’on fait voir que les livres du V. et du N. Testament sont d’inspiration divine, on donne les règles générales pour les expliquer, et l’on prouve invinciblement contre les hérétiques modernes, la vérité des plus profondes doctrines de la religion chrétienne, par M. Martin, Lewarde, F. Halma, 1719, 2 vol. in-8°.

[47] Le socianisme, fondé par le réformateur siennois, Lelio Socini (1525-1562), nie la Trinité et la divinité du Christ.

[48] Thomas Emlyn (1663-1743), théologien anglais et prédicateur,  s’était prononcé ouvertement contre le dogme de la Trinité et faisait donc revivre l’arianisme. Persécuté  en Irlande, il se réfugia en Angleterre. Son libelle, Réponse de M. Emelyn à la Dissertation critique sur le verset 7. du Ch. 5. de la I. Epitre de St Jean [...], Londres, Guillaume et Jean Innys, 1719, publié dans l’Europe savante, lui attira aussitôt une réfutation de David Martin, publiée dans le même périodique, 1720, tome XX, art. IV : Examen de la Réponse de M. Emelyn à la Dissertation critique [...].

[49] Isaac-François Claude, fils du ministre Isaac Claude et petit-fils de Jean Claude, le célèbre ministre de Charenton, s’était rendu à Paris en 1719 pour faire valoir ses droits sur l’héritage paternel en arguant du fait que son père n’avait nullement été fugitif, à la Révocation, mais qu’il avait obtenu du roi l’autorisation de quitter le royaume (E. et E. Haag, La France protestante, 2e éd., art. « Claude ») ; mais il fut débouté.  Des liens très étroits l’unissaient à son oncle, David Martin, qui l’avait élevé après la mort d’Isaac Claude (1653-1695).